De Paris à New York, en passant par Tokyo, Reykjavik ou Sao Paolo, les marchés boursiers s'enfoncent chaque jour un peu plus dans l'abîme. Quelque 25 000 milliards de dollars (20 000 milliards d'euros) sont déjà partis "en fumée". En dépit de ces montants vertigineux, pour beaucoup, la chute des Bourses est "virtuelle", sans effets sur ce que l'on qualifie d'économie réelle. Pourtant, les dégâts du krach boursier sont tangibles et déjà visibles sur les acteurs de la "vraie économie".
Le patrimoine des ménages fond, le pouvoir d'achat s'érode. Aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, près d'un foyer sur deux détient des actions. Pour eux, la chute de près de 40 % de la Bourse depuis janvier a souvent détruit d'autant la valeur de leur patrimoine mobilier.
En France, les particuliers, plus rétifs à l'investissement boursier, sont moins affectés. Toutefois, 6,7 millions d'épargnants sont directement touchés, tout comme ceux qui détiennent des produits d'épargne, sicav, fonds communs de placement (FCP), assurance-vie... au profil "dynamique". En encourageant les entreprises à développer l'épargne salariale pour motiver les employés et reverser les "dividendes du travail", on les a aussi exposés davantage au risque du marché. En dix ans, les encours gérés en épargne salariale ont triplé, et 11 millions de Français détiennent ces portefeuilles dont une partie est investie en Bourse.
Qu'ils aient vendu ou non leurs titres, ces épargnants reçoivent aujourd'hui des relevés où ils voient fondre leur richesse. Résultat, ils consomment moins. "En économie, on parle de "l'effet Pigou" ou du paradoxe du coiffeur, explique l'économiste Jacques Attali. Lorsque l'indice Dow Jones monte, les gens vont plus souvent chez le coiffeur car ils se sentent plus riches." Lorsque la Bourse dégringole, c'est l'effet inverse qui se produit. Les consommateurs réduisent leurs dépenses, ce qui fait baisser le chiffre d'affaires des entreprises, dont celui du fameux coiffeur.
Des retraites sont compromises. Dans les pays où les pensions de retraites sont financées essentiellement par capitalisation, comme au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, le préjudice d'un krach boursier est considérable. Le capital des ménages logé dans des fonds de pension est souvent investi en Bourse, un placement d'ordinaire plus rentable mais aussi plus risqué. De fait, en quelques mois, la plupart ont vu s'évanouir plusieurs années d'économie. A titre d'exemple, le patrimoine du fonds des retraités californiens, CalPERS, a perdu 29 % de sa valeur en un an, l'équivalent de 75 milliards de dollars.
"Aux Etats-Unis, 51 millions de foyers sont concernés. Ceux qui comptaient partir en retraite prochainement se résignent à travailler plus longtemps, la plupart bouleversent les projets qu'ils ont faits pour le reste de leur vie", indique Dan North, économiste chez Euler Hermes à Baltimore. La France est, ici encore, moins affectée, même si de plus en plus de jeunes cadres investissent en Bourse pour compléter une retraite qu'ils estiment de plus en plus incertaine.
Les entreprises sont fragilisées, le chômage menace. En moins d'un an, la capitalisation boursière de Renault s'est écroulée de 80 %, celle de l'équipementier en télécommunications Alcatel-Lucent ou du sidérurgiste ArcelorMittal de 70 %. Ces géants du CAC 40 deviennent ainsi des proies plus accessibles pour des acheteurs étrangers, mais ils voient aussi, et surtout, leur solvabilité se détériorer.
La Bourse sert en effet à lever des capitaux. Mécaniquement, lorsque les actions baissent, les sociétés doivent émettre plus de titres pour récolter autant d'argent. Et aujourd'hui, la Bourse est si chahutée qu'il est même impossible de convaincre un investisseur d'acheter des actions. Pour les entreprises, cette source de financement est bloquée et il ne leur reste plus qu'à emprunter via le marché obligataire ou via les banques. Mais avec une capitalisation boursière mise à mal, elles offrent moins de garanties et inspirent moins confiance à leurs créanciers. Se financer devient difficile et coûteux.
Les sociétés plus fragiles sont menacées d'asphyxie, les autres réduisent leurs investissements. En 2009, les économistes de Xerfi estiment ainsi qu'ils ne progresseront que de 0,6 % en 2009 aux Etats-Unis et de 0,7 % en France, contre 4,9 % et 5,5 % deux ans plus tôt. Or "les investissements d'aujourd'hui sont les profits de demain et les emplois d'après-demain. C'est le théorème de Schmidt", rappelle Alexander Law, chez Xerfi, qui prédit un chômage à 8,5 % en France en 2009, contre 7,2 % actuellement (selon les derniers chiffres de l'Insee au sens du Bureau international du travail).
L'effet anxiogène du krach boursier paralyse l'économie. La Bourse est le reflet de l'économie et évoquer le krach, l'affolement des investisseurs, alerte tous les acteurs. Ménages ou entreprises, même s'ils ne sont impliqués en aucune manière sur le marché, redoutent un avenir sombre. Les entreprises reportent les projets, attendent avant d'embaucher et les ménages réduisent leur train de vie.
"Depuis cinq ans, on remarque un effet anxiogène très fort sur le comportement des consommateurs lié aux fluctuations de la Bourse", signale ainsi Pascale Hebel, du Centre de recherches pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Credoc). Selon elle, la baisse des dépenses des Françaises liée au seul effet psychologique du krach pourrait amputer de 0,2 point le produit intérieur brut (PIB) français. Au Royaume-Uni, Matthew Sharratt, économiste chez Bank of America, calcule "qu'une baisse de 10 % du Footsie (l'indice de la Bourse de Londres), c'est aussi 0,2 point de moins sur le PIB britannique".
Aux Etats-Unis, les ménages perdent aussi confiance. Les crédits à la consommation ont baissé de 3,7 % en août en rythme annuel, du jamais-vu depuis 1998. Jusqu'ici, les Américains n'hésitaient pas à s'endetter pour conserver leur pouvoir d'achat, mais, face à une crise que l'on ne cesse de comparer à celle de 1929, ils semblent bien plus prudents.Source: LeMonde.fr via Yahoo